Rock et guerre froide.
Posté par bricabraque le 4 décembre 2007
Mick Jagger et l’ancien dissident Vaclav Havel (devenu président), en août 1990.
Lorsque le rock and roll apparaît aux Etats-Unis, il suscite d’emblée l’incompréhension de la part des adultes, qui y voient une influence néfaste pour la jeunesse. Les déhanchements suggestifs d’Elvis Presley troublent une frange importante de l’Amérique puritaine. Cette musique, fruit des « amours » entre country blanche et blues noir brouille également les repères d’une société encore ségrégationniste. Elvis chante comme un noir et les premiers artistes du rock sont indifféremment blancs ou noirs. Cette musique contribue ainsi à modifier le mode de pensée de nombreux jeunes Américains.
Mais, dans le bloc soviétique, le rock and roll ne reçoit pas un meilleur accueil. Les autorités soviétiques considèrent la musique pop comme décadente, incarnation de la « barbarie » culturelle des Etats-Unis. Les attaques se multiplient donc contre ces courants musicaux dégénérés, susceptibles de pervertir la jeunesse du bloc de l’Est.
L’accès aux disques de rock occidentaux reste difficile et dangereux, jusqu’à la déstalinisation en tout cas. Leur distribution reste très encadrée jusqu’à la mise en place de la Perestroika par Gorbatchev. Seules exceptions à cette règle, les disques de blues qui reflètent les difficultés d’existence des Afro-américains et donc les limites du modèle, ainsi que les artistes occidentaux (de variété en l’occurrence) amis, comme Yves Montand, qui sont diffusés sans difficultés.
Pochette du « light my fire des Doors », sorti sur le label russe Melodya, en 1988.
Alors que la culture de masse américaine se diffuse et triomphe en Europe de l’ouest, elle subit au contraire les attaques des autorités à l’Est. En 1965, les paroles de chansons et les noms de groupes en anglais sont interdits en RDA. Très peu de groupes occidentaux obtiennent l’autorisation de se produire à l’Est. Mais toutes ces mesures s’avèrent vaines, tant l’attrait de ces musiques interdites reste fort. Des subterfuges permettent souvent de contourner les obstacles (la radio dans les zones proches du camp occidental, le passage en fraude de disques). Des centaines de groupes de rock se forment dans le bloc communiste au cours des années 1960. Désormais, les autorités tentent de canaliser leurs activités, de les encadrer et de les censurer si nécessaire.
En 1985, le komsomol (la jeunesse communiste) d’Ukraine établit une liste de groupes de rock occidentaux, destinée aux responsables de boîtes de nuit (il s’agit d’une circulaire officielle). « Ci-joint une liste approximative des groupes musicaux et artistes étrangers dont le répertoire contient des compositions idéologiquement pernicieuses. Il est bon d’en être informé pour intensifier le contrôle sur les activités des discothèques. » Suit une liste d’artistes auxquels correspond « le type de propagande » qu’ils véhiculent. Les critères retenus laissent dubitatif, voici quelques morceaux choisis :
Circulaire du Komsomol déconseillant la diffusion d’artistes anglo-saxons dans les boîtes de nuit (1985).
Nom du groupe Type de propagande
Sex Pistols Punk, violence
Iron Maiden Violence,obscurantisme religieux
AC/DC Néofascisme, violence
Talking Heads Mythe de la menace militaire soviétique
Tina Tuner Sexe
Canned Heat Homosexualité
Julio Iglesias Néofascisme…
Progressivement la pression se relâche dans le bloc soviétique. Ainsi, les Rolling Stones se rendent à Prague peu après la « révolution de velours ». L’ancien dissident Vaclav Havel les reçoit. A n’en pas douter les messages contestataires portés par le rock ont contribué, à leur façon, à lézarder « le rideau de fer ».
Sources:
- le site vinylmaniaque.com.
- La documentation photographique consacrée à la guerre froide, n°8055, « rock and roll et guerre froide », 2007.
Merci pour cet article passionnant ! Pour apporter un éclairage supplémentaire, ou plutôt un exemple de la pénétration du rock en URSS, un article sur la tournée pionnière d’Elton John & Ray Cooper en URSS en 1979 :
http://haricotfibreux.blogspot.com/2009/11/elton-john-ray-cooper.html