Les procès français contre les criminels de guerre.
Posté par bricabraque le 21 décembre 2007
La cour d’assises de la Gironde juge Maurice Papon, dernier Français accusé de crimes contre l’humanité sous Vichy. L’ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde a apporté son « concours actif » à l’arrestation et à la déportation de plus de 1500 juifs.Caricature de Plantu.
La notion de crime contre l’humanité apparaît dans les statuts fondant le tribunal de Nuremberg en 1945. Elle ne vise alors que les puissances de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon). Or, une loi française de 1964 déclare imprescriptibles les crimes contre l’humanité et permet l’organisation de plusieurs procès retentissants dans l’hexagone, qui visent les criminels de guerre nazis ou leurs complices zélés (les crimes de guerre sont prescrits au bout de trente ans dans le droit français).
A l’occasion du cinquante-troisième anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv’, Jacques Chirac reconnaît « les fautes commises par l’Etat » dans la déportation des juifs de France durant la seconde guerre mondiale.
Ces procès sont portés de bout en bout par les associations de victimes (l’association des fils et filles de déportés de Serge Klarsfeld notamment), relayées par la presse d’investigation. Pendant très longtemps, les responsables politiques et la justice traînent des pieds. Jusqu’au discours du Vel’ d’Hiv’ prononcé par Jacques Chirac en 1995, qui reconnaît pour la première fois la responsabilité de l’Etat à travers le gouvernement de Vichy, les plus hautes autorités de l’Etat considèrent que Vichy rompt avec la tradition républicaine et, qu’à ce titre, l’Etat français ne peut être tenu pour responsable.
En 1962, de Gaulle gracie certains responsables de la police ayant participé aux déportations. Pompidou en appelle à la « réconciliation nationale » après avoir gracié Paul Touvier (1971). Mitterrand se montre très réticent à l’idée de faire un procès Papon.
Pour Denis Salas, magistrat et co-auteur de « Barbie, Touvier, Papon, des procès pour la mémoire » (éditions Autrement), « ces trois procès (…) participent d’une gradation dans la relecture de ce passé tragique. Cette stratégie de jugement est pensée par l’Association des fils et filles de déportés, de Serge Klarsfeld qui voulait d’abord faire le procès de la gestapo, avec la mise en accusation de Barbie, puis celui de la milice avec Touvier, enfin celui de l’administration avec Papon. »
« La France de Vichy » de Paxton.
Ces procès soulignent la différence de pont de vue du juriste et de l’historien. En effet, la notion de crime contre l’humanité est conçue à l’encontre des puissances de l’Axe, aussi Touvier et Papon seront « seulement » impliqués de complicité de crime contre l’humanité. Or, pour les historiens, depuis la « La France de Vichy » de Paxton, la responsabilité directe de l’Etat français dans la déportation ne fait plus aucun doute. Cette simple « complicité » explique donc le refus de quelques historiens de venir témoigner à ces procès (Henry Rousso par exemple). Pour le droit français, le complice est assimilé à l’auteur, ce qui aplanit les difficultés. Ces procès ont une portée pédagogique puisqu’ils sont filmés, ce qui permet de constituer des archives précieuses pour les générations à venir.
Barbie lors de son procès à Lyon en 1987.
Klaus Barbie, capitaine SS et chef de la gestapo de Lyon arrête et torture Jean Moulin, en 1943, qui meurt des suites de ses blessures. En 1944, il organise l’arrestation et la déportation des 44 enfants d’Izieu vers Auschwitz (2 seulement survivent).
Récupéré après la guerre par les services spéciaux américains, Barbie se réfugie en Bolivie à partir de 1951 où il participe activement à la lutte contre la guérilla communiste.
A partir de 1972, Beate Klarsfeld établit la relation entre Klaus Altmann [nom de l’ancien rabbin de la petite ville de son enfance !] et Klaus Barbie. Il est extradé en 1983 et son procès s’ouvre à Lyon en 1987, le sulfureux Jacques Vergès assurant sa défense. Il est condamné à perpétuité pour crime contre l’humanité et meurt en prison en 1991.
Paul Touvier pendant son procès.
Issu d’une famille savoyarde très catholique, Paul Touvier adhère à la milice en 1943 et devient chef régional de cette dernière à Lyon, un an plus tard. Il fait assassiner 7 otages juifs de Rillieux-la-Pape le 29 juin 1944, pour venger l’assassinat la veille du collaborationniste Philippe Henriot.
Condamné à mort par contumace à deux reprises après guerre, il bénéficie de soutiens actifs dans les milieux catholiques intégristes qui l’hébergent en toute discrétion dans des couvents. Après une interminable procédure judiciaire, il est jugé en 1994 pour complicité de crime contre l’humanité et écope de la réclusion criminelle à perpétuité.
Maurice Papon lors de son procès à Bordeaux.
Haut fonctionnaire depuis le milieu des années 1930, Maurice Papon devient secrétaire général de la préfecture de Gironde en 1942 et le reste jusqu’à la Libération. Sous la IVème et la Vème République, Papon poursuit une brillante carrière : préfet de police de Paris entre 1958 et 1962 (il organise les répressions des manifestations du 17 octobre 1961 et celle anti-OAS de Charonne le 8 février 1962) ; ministre du budget de 1978 à 1981.
Les premières plaintes de victimes sont déposées au début des années 1980, mais la procédure s’avère chaotique et ce n’est qu’en avril 1998 qu’il est condamné à 10 ans de prison pour complicité de crime contre l’humanité (il a ordonné quatre rafles de juifs). En septembre 2002, sa peine est suspendue pour raison de santé. Il meurt en février 2007.
Enfin, Aloïs Brunner est né en 1912 dans une famille nationaliste, très antisémite, dans la partie hongroise de l’Empire autrichien. En 1931, il est admis dans la milice nazie des SA, avant de rejoindre la légion autrichienne où il rencontre Eichmann, puis la SS en 1939. A Vienne, Berlin, Salonique, Drancy, il aurait fait déporter plus de 140 000 juifs.
Il est jugé et condamné à la prison à perpétuité, le 2mars 2001, à Paris. En fuite, se cachant sans doute en Syrie (si il n’est pas déjà mort), il est donc jugé « par contumace ».
Sources:
- dossier du Monde de l’Education consacré au documentaire »Mon meilleur ennemi ».
- Le très bon site de M. Natanson consacré à la Shoah et sa mémoire.
Très explicite et pédagogique, cet exposé devrait rencontrer une plus grande audience, et particulièrement dans le monde scolaire et étudiant.