Il s’agit d’une conférence organisée à l’initiative des Etats du sous-continent indien. Elle se tient en avril 1955, à Bandung, en Indonésie et rassemble 29 Etats africains et asiatiques récemment indépendants. Elle marque l’entrée du Tiers Monde et des ses principaux leaders sur la scène internationale, notamment l’Indonésien Soekarno, le Chinois Chou En Laï, l’Egyptien Nasser, l’Indien Nehru. C’est ce dernier qui prononce d’ailleurs le discours de clôture de la conférence.
« L’Asie n’est plus passive […]. Il n’y a plus d’Asie soumise, elle est vivante, dynamique […]. Nous sommes résolus à n’être d’aucune façon dominés par aucun pays, par aucun continent. Nous ne sommes pas des « béni-oui-oui » qui disent « oui » à tel ou tel pays. Nous sommes des grands pays du monde et voulons vivre libres sans recevoir d’ordres de personne. Nous attachons de l’importance à l’amitié des grandes puissances, mais [...], à l’avenir, nous ne coopérerons avec eux que sur un pied d’égalité. C’est pourquoi nous élevons notre voix contre l’hégémonie et le colonialisme dont beaucoup d’entre nous ont souffert pendant longtemps. Et c’est pourquoi nous devons veiller à ce qu’aucune autre forme de domination ne nous menace. Nous voulons être amis avec l’Ouest, avec l’Est, avec tout le monde. Le seul chemin qui mène droit au cœur et à l’âme de l’Asie est celui de la tolérance, de l’amitié et de la coopération. […]
Je pense qu’il n’y a rien de plus terrible que l’immense tragédie qu’a vécue l’Afrique depuis quelques siècles […], depuis l’époque où des millions d’Africains ont été expédiés comme esclaves en Amérique ou ailleurs, la moitié d’entre eux mourant dans les galères. Nous devons tous accepter la responsabilité de ce drame, oui tous, même si nous ne sommes pas directement compromis. […] Malheureusement, même aujourd’hui, le drame de l’Afrique est plus grand que celui d’aucun autre continent, tant au point de vue racial que politique. Il appartient à l’Asie d’aider l’Afrique au mieux de ses possibilités, car nous sommes des continents frères. […] »
Discours de clôture de Nehru à la conférence de Bandung le 24 avril 1955
Nehru lors de la conférence.
Nerhu avance quelques grands axes de réflexions dans son discours:
* Il y condamne le colonialisme qui continue de sévir en Afrique et lance un vibrant appel à l’élargissement de la décolonisation.
En effet, à la différence de l’Asie, presque totalement indépendante en 1955, l’Afrique reste victime « de l’immense tragédie », c’est-à-dire le colonialisme et ses séquelles, « dont beaucoup … ont souffert ». D’abord, l’exploitation des hommes, « tant du point de vue racial que politique », a épuisé démographiquement le continent par la traite des noirs et le travail forcé. Elle les maintient toujours sous tutelle en imposant, à l’image de la France, un code de l’Indigénat inégalitaire ou en justifiant un apartheid officiel en Afrique du Sud. L’exploitation économique s’est faite également au profit des métropoles qui importent largement des matières premières et des produits tropicaux à bas prix en échange de produits manufacturés.
Nehru et Nasser à Bandung.
Cependant, le Maghreb, encouragé par l’Egypte et grâce à des mouvements indépendantistes actifs, menace de plus en plus la présence française en Tunisie et au Maroc. Alors qu’en Algérie, le F.L.N., depuis la Toussaint de 1954, lance un long combat de libération, face au refus de toute évolution des Pieds noirs et de la France. L’Afrique noire britannique ou française reste, quant à elle, totalement soumise, faute de mouvements suffisamment importants pour engager la lutte (à l’exception toutefois de la Gold Coast).
* Nerhu en appelle en outre à la neutralité face aux deux blocs.
D’abord, Nehru refuse toute autre « forme de domination » qui pourrait menacer les nouveaux Etats indépendants. Il s’agit là de refuser la logique des blocs, de rester neutre, face notamment au géant chinois, devenu un des leaders du bloc communiste depuis 1949. Ce neutralisme annonce le non alignement qui trouve son plein effet à Belgrade (1961) en engageant, certes difficilement, ces nouveaux Etats à « être amis avec l’Ouest, avec l’Est, avec tout le monde … ».
* Quelles conséquences et perspectives?
Ce discours est un vibrant appel à résister à « l’hégémonie » et au « colonialisme », c’est-à-dire à s’engager dans l’émancipation. A cette fin, l’Asie doit entamer une coopération réelle avec l’Afrique pour « l’aider … au mieux de ses possibilités ». Effectivement, après Bandung, la décennie qui suit est marquée par la décolonisation plus ou moins pacifique de l’Afrique noire et par la tragique guerre d’Algérie.
A Bandung, les « peuples de couleur » ont retrouvé, comme l’a pertinemment énoncé Léopold Sedar Senghor, « leur éminente dignité ».