Le nouveau film de Rachid Bouchareb, « Hors la loi », présenté hier sur la Croisette fait polémique. Des manifestations de nostalgiques de l’Algérie française, dont des membres du Front national, ou encore Lionnel Luca, député UMP des Alpes-Maritimes, accusent le réalisateur de « falsifier » l’histoire et de « raviver des blessures » de manière « irresponsable. qui n’avait pas vu le film, avait accusé M. Bouchareb de « falsifier » l’histoire et de « raviver les blessures » de manière « irresponsable ». Ces critiques fusaient alors même que ces manifestants n’avaient pas vu voir le film qui reste une fiction (sur un fond historique). Le film raconte le parcours de trois frères dont la famille a survécu aux massacres de Sétif, répression sanglante par les Français d’émeutes nationalistes en 1945.
- Le blog de l’Histoire revient sur la polémique.
- Une mise au point de Jean-Michel Planche, historien qui a consacré un ouvrage au massacre de Sétif (sur le blog de M. Hoibian).
- Des liens intéressants sur le blog de Michel Deverge.
- Mohammed Harbi: « La guerre d’Algérie a commencé à Sétif » sur le site du Monde diplomatique
.- Les querelles mémorielles franco-algériennes.
Benjamin Stora, historien spécialiste de l’Algérie, revient sur le massacre de Sétif dans un entretien accordé au Monde.
Dans quel contexte historique a lieu le massacre de Sétif ?
Dès 1940, l’Algérie voit la France vaincue. Quelques mois avant les événements, l’Algérie est en proie à une famine. Le 23 avril 1945, Messali Hadj, grand leader algérien, est arrêté et déporté à Brazzaville, au Congo. Cette arrestation suscite une grande émotion dans les rangs des nationalistes algériens. Le 1er mai ou le 8 mai sont l’occasion pour un certain nombre d’Algériens nationalistes de demander la libération de Messali. Les plus radicaux demandent l’indépendance par la lutte armée.
Quel a été le bilan des victimes de ces événements ?
Du côté européen, il n’existe aucun doute : il y a eu cent trois morts. En ce qui concerne le nombre de morts algériens, les historiens européens s’accordent à compter entre huit mille et quinze mille morts à partir des archives militaires. Quels que soient les chiffres, la proportion est énorme. Les Algériens ont avancé dès l’été 1945 le chiffre de quarante-cinq mille morts pour des besoins politiques. Ce chiffre existe encore en Algérie.
Quelles ont été les conséquences en Algérie des massacres de Sétif ?
Les événements du mois de mai 1945 ont poussé à une radicalisation du mouvement. Les autonomistes sont devenus indépendantistes. La lutte armée devient un principe politique central. Cela ouvre ce que l’on appellera neuf ans plus tard la guerre d’Algérie. La question de la violence va se développer dans les deux communautés. Sétif marque le coup d’envoi d’une nouvelle période, qui est celle de la décolonisation. En 1946, c’est la guerre d’Indochine. En 1947, la révolte de Madagascar. En 1952, le soulèvement de la Tunisie et en 1953, celui du Maroc. La défaite de Diên Biên Phu sonne le glas de l’empire colonial en mai 1954. Le 8 mai est devenu fête nationale en Algérie. Chaque année, il y a des marches et des colloques d’organisés. Depuis quarante ans, cette date figure dans tous les manuels scolaires. C’est un moment fondateur de la guerre d’indépendance algérienne. Sétif reste ancrée dans la mémoire collective comme une grande blessure.
Pensez-vous qu’un jour, l’histoire franco-algérienne pourra dépasser ces débats ?
Que ce soit dans un documentaire ou dans un film, ce qui compte c’est la figuration d’un événement. Or, c’est la première fois que l’on présente Sétif dans un film de fiction. En Algérie, c’est un fait admis. En France, il semble que certains n’aient toujours pas accepté la décolonisation. Dès qu’il est question de la guerre d’Algérie, il y a des batailles de mémoires. Il faut rappeler qu’il y a eu des victimes européennes et aussi mesurer l’ampleur de la tragédie algérienne.
Propos recueillis par Caroline Venaille