Bref retour sur l’histoire du Chili.
En dépit de la mise hors-la-loi du communisme, (1948-1958), le Chili sut se faire la réputation d’«un pays de tradition démocratique et progressiste». L’expérience de démocratie chrétienne tentée par E. Frei Montalva (1964-1970) fut observée avec intérêt par les pays d’Amérique latine. Au Chili, lors des élections présidentielles de 1970, Salvador Allende, soutenu par les socialistes, les communistes et l’aile gauche de la démocratie chrétienne, arrive en tête du scrutin, avec seulement 40 000 voix d’avance sur le candidat de la droite Alessandri. Il devient donc président du Chili grâce à un vote du parlement.

Le président Allende à la tribune.
Socialiste légaliste, Allende entend engager le pays dans “la voie chilienne au socialisme”. Il forme un gouvernement d’”unité populaire” avec les communistes, les socialistes, les radicaux et les chrétiens d’extrême gauche. Très vite, Allende se trouve pris en étau entre les surenchères de la gauche révolutionnaire (MIR) qui reproche à Allende son réformisme et l’opposition de droite qui détient la majorité au Parlement.

Caricature sur la doctrine Monroe.
Néanmoins, le gouvernement engage des réformes conséquentes: nationalisation du cuivre (juillet 1971), accélération de la réforme agraire, nationalisation des grandes banques, passage sous contrôle de l’Etat du papier, du textile, des houillères, de l’industrie sidérurgique… Or, certaines de ces mesures portent préjudices aux intérêts américains. C’est la raison pour laquelle, Washington entend empêcher Allende d’assumer le pouvoir, “par tous les moyens” pour Henry Kissinger, le conseiller en politique étrangère des présidents Eisenhower, Kennedy et Johnson .

Le secrétaire d’Etat américain (au premier plan à gauche) avec Pinochet.
Les EU,qui considère l’Amérique comme leur chasse gardée depuis le XIXème siècle (doctrine Monroe), font tout pour empêcher la diffusion du communisme sur le continent. Si malgré tout, le communisme s’impose, il ne peut le faire que par la force pour Kissinger. Instaurer le socialisme par les urnes, comme le tente Allende, constitue un très mauvais exemple pour l’Europe selon Kissinger. Ce dernier affirme: « L’élection d’Allende est grave pour les intérêts américains au Chili et pour le gouvernement américain. Allende est probablement un communiste, un communiste de Moscou. » Il convient donc de réagir. L’existence du plus grand parti communiste des Amériques au Chili inquiète particulièrement le département d’Etat américain.
En 1971, Washington programme le “chaos économique au Chili”. La CIA finance les grèves de transporteurs et de commerçants qui paralysent le pays en 1972 et 1973. Les EU coupent les crédits dès 1971 et organise une sorte de “blocus invisible” autour du Chili. Dans ces conditions, les marges de manoeuvre du gouvernement sont bien minces (face à la pénurie, il instaure le rationnement qui mécontente les ménagères chiliennes). Dès 1971, Allende ne peut plus compter sur le soutien de la démocratie chrétienne ni sur celui du parlement. Fin 1972, pour consolider le gouvernement, Allende doit faire entrer des militaires dans le gouvernement.
Dans le même temps, la CIA appuie les tentatives de putschs, qui échouent, mais préparent le terrain pour le 11 septembre 1973. On peut considérer en effet, que l’ingérence nord-américaine au Chili a permis l’instauration d’une des dictatures les plus dures du continent, celle de Pinochet.

Pinochet et Allende.
Le 11 septembre 1973, une junte militaire, commandée par le général Pinochet renverse le gouvernement d’unité populaire. le putsch porte au pouvoir Pinochet, tandis qu’Allende se tue dans le palais présidentiel de la Moneda. Pinochet met tout en oeuvre pour extirper le marxisme du Chili. La junte militaire procède à une répression sanglante (au moins 3000 morts, des milliers d’internements sans jugement). Le Parlement est dissous, les partis politiques supprimés. Pinochet prend le titre de “chef suprême de la nation”, en 1974.
Aussitôt, il suspend la Constitution et le Parlement, impose une censure totale et interdit tous les partis politiques. La dictature militaire ne donna des signes symboliques de relâchement qu’à la fin des années soixante-dix, tout en demeurant un État policier.
Pinochet échappe en 1986 à un attentat et durcit de nouveau la répression. Un premier signe de retour à la démocratie apparut en février 1987 avec le retour des partis politiques. Le 5 octobre de la même année, Pinochet organisa un plébiscite visant à reconduire son mandat après mars 1989 jusqu’en 1997, mais le NON l’emporte. Pinochet annonce alors qu’il prolonge son mandat jusqu’en mars 1990.
Les victimes de ces régimes autoritaires sont les opposants de gauche, les communistes en particulier, mais aussi les populations indiennes, éternelles laissées pour compte depuis la conquête espagnole. Par exemple au Chili, les décrets-lois 2568 et 2750 adoptés en 1979-1980 fragilisent un peu plus encore les populations autochtones.
Il faut attendre les élections présidentielles de 1990 pour que la démocratie ait de nouveau droit de citer au Chili. Le démocrate-chrétien Patricio Aylwin l’emporte et met en place un gouvernement de « concertation nationale » censé assainir les relations entre l’armée, véritable Etat dans l’Etat sous Pinochet, et la société chilienne qui aspire enfin au retour des libertés fondamentales. A partir de 1994, Eduardo Frei Ruiz-Tagle, lui aussi démocrate-chrétien poursuit la politique de son prédécesseur et tente de consolider la croissance économique, malgré la persistance d’inégalités régionales importantes.

Caricature in Le Temps.
En 1986, le Chili devient membre associé du Mercosur. En mars 1998, Pinochet abandonne enfin le commandement de l’armée de l’air pour occuper un siège à vie au Sénat, ce qui lui assure l’immunité. Or, en octobre, la police britannique arrête Pinochet alors en visite auprès de sa grande amie Mrs Thatcher, à la suite d’un mandat d’Interpol présenté par le juge Baltasar Garzon.
Ce dernier réclama, en vain l’extradition de Pinochet, pour des délits de « génocides », « tortures » et « disparitions » commis durant la dictature. De retour au Chili, Pinochet est enfin inquiété par la justice chilienne avec la levée de son immunité parlementaire en 2000. Il parvient néanmoins à éviter toute condamnation dans les multiples affaires dans lesquelles il était pourtant manifestement impliqué (opération condor, « caravane de la mort », fraudes fiscales). Il décède le 10 décembre 2006, à 91 ans.

L’ère Pinochet semble définitivement tournée avec l’arrivée au pouvoir des socialistes Ricardo Lagos (2000), puis Michelle Bachelet (en 2006). Au Chili, pourtant, tout n’est pas rose. Le « tigre de l’Amérique du Sud » est touché de plein fouet par la crise: la croissance est négative depuis janvier (-2,1%) et le chômage frôle les 10%. Le pays souffre de la baisse brutale des cours du cuivre, le moteur de l’économie chilienne. Premier producteur mondial, le Chili a vu ses exportations chuter de plus de 50% depuis janvier. Plus de 12 000 emplois ont été supprimés dans le secteur au dernier trimestre 2008.
Pour autant, la présidente jouit d’une grand popularité au Chili. Les réponses apportées à la crise sont plébiscitées par de nombreux chiliens. « Notre gestion de la crise est meilleure que lors des crises précédentes. Plutôt que de baisser les dépenses publiques, nous avons choisi de les augmenter ». Ce virage keynésien opéré par Michelle Bachelet tranche en effet avec le modèle économique traditionnel du pays et notamment avec l’ère Pinochet. Certes, le Chili s’est alors enrichi, mais les options ultra-libérales du dictateur, puis de ses successeurs, ont crée des inégalités criantes entre les riches et les pauvres.
Liens:
- L’Amérique depuis 1945.
- La lutte en chantant: le Cône sud (série en 3 volets).
- Chili 1973, la démocratie assassinée.
- Le plan Condor.
- Plusieurs titres consacrés au Chili sur l’histgeobox.