Manifestation demandant l’extradition de Klaus Barbie, réfugié en Bolivie.
Au lendemain de la guerre, un sentiment de vengeance prédomine dans les pays libérés, qui conduit à la tenue rapide de procès condamnant les hauts responsables nazis (procès de Nuremberg) et japonais (procès de Tokyo).
Assez vite, le contexte de guerre froide aidant, la volonté de tourner la page des années sombres l’emporte. Les mauvais souvenirs sont refoulés, les poursuites judiciaires cessent et de nombreux anciens nazis parviennent à se recycler dans
la RFA en reconstruction ou à s’éloigner discrètement vers des refuges sûrs (l’Amérique latine, le Moyen Orient) pour les plus compromis.
La mémoire du génocide entre alors aussi en sommeil et les spécificités de
la Shoah mal perçues. Seules quelques personnalités exceptionnelles font du devoir de mémoire à l’égard des victimes une priorité et considèrent la punition des criminels de guerre une priorité absolue, voire une raison de vivre.
Simon Wiesenthal (Le Monde du 22 septembre 2005).
Simon Wiesenthal survit à 12 camps de concentration ou d’extermination. A partir de la libération du camp de Mauthausen, où il était interné, par les Américains en mai 1945, il n’eut de cesse de rechercher les criminels de guerre nazis, ce qui lui vaut le surnom de « chasseur de nazis ». Un sous-officier d’un camp où Wiesenthal fut interné, lui demande un jour ce qu’il dirait des camps de concentration s’il arrivait jamais à New York. Il répond qu’il raconterait la vérité. Or, l’Allemand lui rétorque : « on ne te croira pas, on dira que tu es fou. »
Son travail consiste en fait à établir des dossiers sur tous les responsables de crimes de masse (réunissant documentation, témoignages, preuves). Une fois le criminel débusqué, il transmet le dossier à la justice des pays concernés parles exactions de ces individus. Travail colossal qu’il mène avec trente volontaires, dans le centre d’information et de documentation sur les criminels nazis (centre Wiesenthal aujourd’hui), qu’il fonde à Vienne.
Franz Stangl, commandant du camp d’extermination de Treblinka.
Sur les 90 000 fiches de bourreaux nazis qu’il établit, il réussit à en faire comparaître en justice près de 1000, dont :
- Franz Stangl, commandant du camp de Treblinka (en 1967) ;
- Karl Silberbauer (en 1963), le policier autrichien qui avait arrêté aux Pays-Bas la jeune Anne Franck ;
- Franz Novak, chargé de transférer les juifs à Auschwitz, un adjoint d’Eichmann ;
- Simon Wiesenthal contribue, avec d’autres, à l’arrestation de ce dernier. Dès 1954, il apprend qu’Eichmann vit en Argentine sous le nom de Ricardo Klement.
Poursuivis tous quatre pour crime ou complicité de crime contre l’humanité.
Eichmann lors de son procès en Israël en 1962.
Wiesenthal meurt le 20 septembre 2005, à 96ans, serein. Il affirmait encore, peu avant : « les meurtriers de masse que j’ai cherchés, je les ai trouvés. Je leur ai tous survécu. S’il y en avait que je n’ai pas cherchés, ils sont aujourd’hui trop vieux pour être poursuivis ».
Le Mossad enlève Adolf Eichmann à Buenos Aires en 1960, avant d’être jugé et pendu en Israël en 1962. Ce procès suscite une curiosité partout dans le monde et constitue un électrochoc qui active la mémoire juive, en sommeil depuis 1945.
Il n’en reste pas moins que dans les années 1960, la réhabilitation d’anciens nazis se généralise en Allemagne de l’ouest. L’accession au poste de chancelier de Kurt George Kiesinger, ancien responsable de la propagande radiophonique du Reich, couronne ce processus. Tout comme la popularité dont jouit Albert Speer après sa sortie de prison en 1966, véritable « musée vivant du nazisme ». Processus inévitable aux yeux des Klarsfeld.
Ce couple se lance, après Wiesenthal dans une double tâche herculéenne : traduire en justice les criminels nazis et leurs complices et aussi restituer l’identité des déportés juifs de France, grâce à des recherches documentaires infinies [« Le mémorial de la déportation des juifs de France, le livre référence de Serge Klarsfeld, insuffle une nouvelle vie aux 76 000 déportés des juifs de France].
Serge et Beate Klarsfeld
Alors qu’il n’a que huit ans, le père de Serge est arrêté par la gestapo, après avoir eu le temps de cacher sa famille dans une contre cloison. Il ne reviendra pas des camps. Durant toute sa jeunesse, Serge garde ce traumatisme pour lui. La rencontre avec Beate en 1960, sert de révélation. Cette Allemande, dont les parents n’étaient ni résistants ni hitlériens, épouse la nouvelle cause de Serge. Dès lors, ils font le tour du monde pour traquer les criminels, les dénoncer, militer. Ils créent l’Association des fils et filles des déportés juifs de France pour soutenir leurs actions.
Ils comprennent vite que le scandale constitue un bon moyen de pression. En 1968, Beate hurle « Kiesinger, nazi ! » en plein Bundestag, avant de le gifler quelques mois plus tard lors d’un congrès. Willie Brandt l’emporte aux élections suivantes.
Kurt George Kiesinger réconforté après avoir reçu une gifle de Beate Klarsfeld, lors d’une réunion en novembre 1968.
Ils parviennent à faire modifier les procédures d’extradition des criminels de guerre nazis ce qui permet la tenue du procès de Cologne en 1979, qui aboutit à la condamnation de Lischka, Hagen et Heinrichsohn, trois hauts responsables de la déportation juive en France.
Enfin, après le procès de Cologne, ils jouent un rôle essentiel dans ceux de Klaus Barbie (que Beate est parvenue à localiser en Bolivie dès 1971), Paul Touvier, Maurice Papon et Aloïs Brunner (voir article suivant).
Aribert Heim, dernier criminel nazi en fuite ou fantôme?
Aujourd’hui, la chasse des nazis n’est pas totalement terminée. Le centre Simon Wiesenthal de Jérusalem, dirigé par Ephraïm Zuroff, mène l’opération « Dernière chance », qui vise à traduire en justice les criminels nazis encore en vie. Elle débute en Europe de l’est (dans les pays baltes notamment) en 2002, avant d’être étendue actuellement à l’Amérique latine où le « boucher de Mauthausen », Aribert Heim, serait toujours caché. Ses moyens : des communiqués de presse, la mise en place d’un numéro vert, le versement d’une prime de 10 000 euros pour toute information sérieuse permettant l’inculpation d’un suspect. Cette opération aurait permis de retrouver la trace de plusieurs centaines de suspects.
D’anciens pays très accueillant pour les nazis en fuite, comme l’Argentine, tentent à leur tour d’identifier les derniers coupables grâce à
la Commission pour l’éclaircissement des activités des nazis en Argentine (CEANA), créée à la fin des années 1990.
Au bout du compte, il semble intéressant de souligner que cette traque reste le fait de personnalités exceptionnelles, longtemps isolées, mais pas (ou exceptionnellement) d’organisations internationales ou d’Etats concernés par les exactions des criminels de guerre.
NB: une judicieuse remarque de Lyonel Kaufman, auteur d’un remarquable site, ajouté récemment en lien, me pousse à indiquer mes sources pour les images utilisées dans les articles. Il suffit désormais de cliquer sur la légende sous les documents afin d’être renvoyé vers les sites utilisés.
Sources: Le Monde du 22 septembre 2005.
Le dossier pédagogique du CNDP sur le documentaire de France 2 « la traque des nazis (cf. liens).
La chasse aux nazis est-elle terminée?, ça m’intéresse n°290, avril 2005.
Liens utiles :
- « La traque des nazis », un très bon documentaire diffusé sur France 2.
- un entretien avec Serge et Beate Klarsfeld autour de ce documentaire.
- Dossier pédagogique mis au point par le CNDP et France 2 du documentaire.
- Une édition spéciale du Monde consacré à
la Shoah, avec notamment une interview fleuve de Serge Klarsfeld, puis son portrait .
- Le site du Centre Simon Wiesenthal pour l’Europe.
- « La recherche des coupables » sur le site du Mémorial de la Shoah.